Dans beaucoup d’ouvrages et d’articles imprimés ou en ligne qui parlent d’Aimé Ramond, de son
action résistant et de sa mort tragique, son patronyme est le plus souvent transcrit à tort « Ramon ».
Aimé Ramond était le fils de Jean Ramond, garde-champêtre à Montgeard et Maria Raigné âgés
respectivement de trente-cinq ans et vingt-sept ans en 1918. Sa famille paternelle était originaire de
Montgeard alors que sa mère était native de Nailloux (Haute-Garonne, commune limitrophe de
Montgeard) et résidait à Montgeard lors de son mariage en 1909. Après la guerre, les époux Ramond,
petits propriétaires vécurent de la culture des céréales et l’élevage bovin. Aimé fut déclaré pupille de la
nation le 25 octobre 1932 par décision du tribunal de Villefranche-de-Lauragais (Haute-Garonne) du
fait des blessures reçues par son père, rescapé de la Grande Guerre ; il put ainsi poursuivre plus
facilement des études. Aimé Ramond avait un frère aîné, Sylvain, né en 1910 et mort prématurément
le 3 août 1937.
Dans une commune, longtemps dominée par la droite conservatrice incarnée par les maires (Ernest Dalga, jusqu’en 1919, Albert Combes (1919-1935) et Roger Dalga, élu en 1935) propriétaires terriens, la famille Ramond se plaça résolument dans le camp "avancé". Les relations furent tendues, en particulier avec le dernier des trois qui occupait une maison mitoyenne de celle des Ramond. Excellent élève de l’école primaire du village, Aimé Ramond fut remarqué par son instituteur, Lazare Billa. Après le certificat d’études primaires, facilement obtenu, il put poursuivre ses étudesà l’école primaire supérieure (EPS) Berthelot de la rue des Recollets à Toulouse (Haute-Garonne). Aimé Ramond dont l’occitan était la langue maternelle lui conserva toujours sa préférence bien qu’il poursuivait sa scolarité dans des établissements d’où elle était bannie. Désireux d’embrasser une carrière d’instituteur, il présenta simultanément (juillet 1935) le brevet de l’enseignement primaire supérieur et le brevet de capacité à l’enseignement primaire. Il poursuivit ses études à Toulouse en vue de l’obtention du brevet supérieur et obtint en 1937 un sursis afin de mener à bien ce projet. Studieux, Ramond pratiquait aussi plusieurs sports : athlétisme, rugby, natation.
Sensibilisé à la politique, il suivait attentivement l’évolution de la situation politique française et internationale des années du Front populaire, de la guerre d’Espagne et de la consolidation de l’Allemagne nazie. C’était un homme de gauche, résolument antimunichois à l’automne 1938. En effet, si Aimé Ramond avait en vue une carrière d’instituteur, la situation internationale de 1938 l’amena à s’inscrire à la préparation militaire à la caserne Niel à Toulouse (Haute-Garonne). Il intégra le peloton préparatoire de l’école d’officiers de réserve puis, le 18 septembre 1939, le 502e régiment de chars de combat à Angoulême (Charente). Le 6 mai 1940 il rejoignit l’école chars de combat de Satory, (Versailles, Seine-et-Oise). Il y obtint le brevet de chef de section de chars et fut nommé aspirant de réserve le 25 août. Il demeura dans l’Armée d’armistice et rejoignit, le 2 septembre, le 18e RI reformé dans sa garnison traditionnelle, Pau (Basses-Pyrénées ; Pyrénées-Atlantiques). Mais Ramond fut affecté une compagnie en garnison à Tarbes (Hautes-Pyrénées). L’entrevue de Montoire, les perspectives de collaboration avec le Troisième Reich le déçurent et lui posèrent la question de son maintien dans une armée où prédominaient les traditions antirépublicaines au service de ce régime. Il préféra la quitter et envisagea une carrière dans la police, administration, dont, au demeurant, il était ignorant mais qui, selon lui, permettrait de se mette au service la Résistance. La Police nationale, en voie de constitution depuis l’adoption de la loi du 23 avril 1941 prévoit une présence dans les villes de plus de 10 000 habitants et nécessitait donc des cadres nouveaux qui facilitait donc le recrutement de nouveaux policiers. Démobilisé à sa demande le 20 octobre 1941, Ramond revint momentanément dans son village natal. Le 27 février 1942, il sollicita un emploi d’officier de paix emploi auquel il avait accès sans concours en sa qualité d’officier de réserve.
Admis dans la police, le 10 avril 1942, il pouvait aussi choisir une affectation dans les nouveaux Groupes mobiles de réserve, option que privilégiait l’intendant de police Georges Lelong, chef de l’École de sécurité publique de Périgueux (Dordogne) où Ramond suivit des cours de formation. Ayant compris ce que signifiait une affectation dans les GMR, Ramond, à la sortie de l’école de Périgueux fit le choix d’un poste d’officier de paix dans un commissariat de police urbaine alors que lorsqu’il avait été recruté et avant de suivre les cours de l’école de Périgueux, il avait choisi les GMR sans savoir à quoi il s’engageait. Il effectua son stage à partir du 6 janvier 1943 au commissariat de Carcassonne (Aude) où il fut affecté comme titulaire, le 16 juin 1943, comme commandant du corps urbain de police de Carcassonne. Le 20 mai 1943, à l’issue de son stage, il reçut une première nomination au GMR Minervois de Carcassonne dont il sollicita l’abrogation à compter du 16 juin. Il obtint satisfaction grâce à l’appui de ses supérieurs et, le 28 juillet 1943, il fut nommé à titre définitif officier de paix au commissariat de Carcassonne.
Rapidement en contact avec des policiers adhérents ou sympathisants du mouvement Combat qu’il connaissait depuis son stage, il avait dès 1942 noué des liens avec animateurs de ce mouvementà Carcassonne et dans les communes voisines (Voir : Picolo Albert*, Roquefort Félix*, Roubaud Lucien*). Il finit par y adhérer et, par ses fonctions occupait une position stratégique afin de faire progresser la Résistance à Carcassonne et dans l’Aude. Il fut chargé de diriger les services du NAP (Noyautage des administrations publiques) Police du département sous l’autorité de Jean-Baptiste Sablé, (des PTT) responsable de l’ensemble du NAP de l’Aude. Le 5 août 1943, toutefois, il se blessa accidentellement (ou lui tira-t-on dessus ?) avec son arme de service et fut transporté par un des policiers qu’il avait sous ses ordres à la clinique du docteur Émile Delteil — un résistant — qui réussit à le sauver de deux graves blessures à l’abdomen. L’affaire fut classée par ses supérieurs et il se rétablit rapidement après une convalescence à Montgeard où, amoureux de l’institutrice, Henriette Rolland, il s’y était fiancé officieusement. Nommé titulaire de son poste le 16 septembre 1943, il fut mis en congé pour trois mois. Cette décision ne le satisfaisait pas car elle l’éloignait du NAP et la Résistance carcassonnaise. Il demanda au docteur Petrera qui traitait les cas des fonctionnaires de police carcassonnais, de lui permettre de reprendre son service. Après un entretien avec un supérieur à Montpellier (l’oncle du docteur Petrera) il obtint une nomination au commissariat de Montpellier (Hérault) à partir du 4 décembre 1944. Il insista pour être rapproché de Carcassonne et de Montgeard et, le 1er mars 1944 il fut muté à Béziers (Hérault) avant d’obtenir gain de cause et de réintégrer le commissariat de Carcassonne le 1er mai 1944. Il retrouvait ses amis résistants avec qui il n’avait cessé de garder le contact. Avec d’autres policiers favorables à la Résistance, il assurait la transmission de renseignements, la confection de fausse documentation, la surveillance des collaborationnistes, la liaison avec des maquis comme celui de Montolieu et, surtout, celui de Picaussel formé et dirigé par l’instituteur Lucien Maury, au point que cette relation avec ce maquis fut mentionnée sur sa fiche matricule. Il était aussi en contact avec le policier révoqué audois, André Coste, et lui facilita son travail d’agent de renseignements. Coste, de retour à Carcassonne en octobre 1942 et agent P2 de renseignements des Services spéciaux de la défense nationale sous le couvert des réseaux des Travaux ruraux qui faisait passer hommes et renseignements (recueillis dans tout le département et, en particulier, sur la zone littorale) en Espagne (et de là en Afrique du Nord), après le 11 novembre 1942. Le 20 mai 1944, Ramond intervint avec sang-froid afin de tirer Coste des griffes de la Milice et réussit à le faire évader. D’après le témoignage d’André Coste repris par Lucien Maury (op. cit., tome I, p. 337), Ramond sut« continuer à sortir des patriotes des griffes de la Milice et de la Gestapo … en restant à son poste où ilétait facile à ces dernières de venir le cueillir ». En un an et demi, Ramond était devenu l’un des
dirigeants les plus en vue de la résistance audoise. Il avait noué dès son retour à Carcassonne, des relations confiantes avec nombre d’entre eux, en tout premier lieu avec Jean Bringer alias Myriel*, le responsable départemental de l’AS et des Groupes francs puis des FFI dont il partagea le tragique destin. En effet, son activité fut décelée par les collaborationnistes qui informaient les deux intendants de police successifs de Montpellier favorables à la Milice et aux Allemands, Marty puis Hornus— qu’il surveillait et par la SIPO-SD. Il fut arrêté sur dénonciation le 29 juillet 1944.
Interné à la maison d’arrêt de Carcassonne, il y retrouva Jean Bringer* et le docteur Émile Delteil, arrêtés le lendemain. D’autres résistants furent arrêtés les jours suivants, dont quatre maquisards (Gilles Bertrand*, Jean Hiot*, Léon Juste*, Pierre Roquefort*) faits prisonniers après le combat de Trassanel (Aude), le 8 août 1944. Tous furent torturés. Dans sa cellule, Ramond traça sur un mur un calendrier où il notait les jours de détention. Il rédigea également, en occitan (graphie phonétique française), un bref testament : « Aquo es moun testamen. Se daissi ma bido dins aqueste affa souhaiti que mous parens caousisquon l’Albert Ramond de Libourno coumo heritie a mens que ma caro Henrietto y fasco empechamen » [« Ceci est mon testament. Si je le laisse ma vie dans cette affaire, je souhaite que mes parents choisissent Albert Ramond de Libourne comme héritier. À moins que ma chère Henriette y soit opposée » (dans le cas où elle serait enceinte), traduction André Balent] (Albert Ramond était un cousin défavorisé et Henriette Rolland, sa fiancée). Le jour de son transfert, le 19 août, il nota, toujours sur le mur de la prison : « 19 août départ du docteur Delteil [« grâcié » par Oskar Schiffner de la Siecherheitspolizei de Carcassonne pour avoir soigné des soldats allemands dans sa clinique] et des camarades arrêtés le même jour que nous pour un camp d’internement. Pour ce qui me concerne quand je réclame ma nourriture on me répond qu’il n’y en aura peut-être pas ». Aimé Ramond n’était pas marié. Il avait mentionné Henriette Rolland sa fiancée officieuse dans son"testament".
Les détenus furent transportés dans un fourgon cellulaire au domaine de Baudrigues (commune de Roullens) où les forces d’occupation avaient installé un dépôt de munitions (obus d’artillerie et torpilles pour l’aviation de bombardement). Des dispositions avaient déjà été prises afin de provoquer l’explosion du dépôt et les occupants du domaine. Ramond et ses compagnons furent fusillés (ou explosés ?) puis leurs corps déchiquetés par plusieurs explosions furent projetés dans un rayon d’environ trois cents mètres. Les restes de Ramond furent parmi ceux qui furent reconnus dès le 25 août. Le docteur Émile Delteil, présent sur les lieux, reconnut sur son abdomen partagé en trois les traces de l’opération chirurgicale qu’il lui avait faite après son accident du 5 août 1943. Son décès fut,à tort et pour des raisons inconnues, enregistré sur le registre de l’état civil de Carcassonne et non sur celui de Roullens. Aimé Ramond fut inhumé au cimetière de Montgeard (Haute-Garonne). Déclaré « mort pour la France », par le secrétariat des Anciens combattants le 13 février 1946, cité à l’ordre de la nation, il fut homologué lieutenant (FFI) et élevé au grade de chevalier de la Légion d’honneur à titre posthume (décret du 27 août 1948). Une des trois stèles commémoratives du parc du château de Baudriguesà Roullens lui est particulièrement dédiée. Son nom figure aussi sur la plaque commémorative de l’hôtel de Police de Carcassonne, sur une plaque commémorative du square de l’armistice à Carcassonne et sur le monument aux morts de Montgeard. En 1994, la 50e promotion d’élèves officiers de la police nationale de l’École supérieure des officiers de paix de Nice (Alpes-Maritimes) a pris le nom de"Promotion officier de paix principal Aimé Ramond". Philippe Marchal, chef d’état-major au commissariat central de police de Carcassonne, rédigea un discours en partie biographique lors d’un hommage rendu à Aimé Ramond à Baudrigues le 11 mai 2012. Ce discours fut repris ultérieurement par un élève de la première année de baccalauréat professionnel du lycée Jules-Fil de Carcassonne. Le 8 octobre 1944, le conseil municipal de Carcassonne donna son nom à une rue de la ville désignée jusqu’alors comme rue de la mairie. À Montgeard, la rumeur insinua que Ramond aurait joué un"double jeu" entre la Résistance et la Milice. Par une délibération du 30 juin 1946, le conseil municipal de Montgeard refusa, à l’unanimité, que les parents du défunt posassent à leur frais une plaque sur le monument aux morts indiquant que le leur fils avait été victime de la Gestapo. Beaucoup plus tard, le 13 mai 1995, nom d’Aimé Ramond fut donné à une place de Montgeard à l’initiative d’André Roou, alors maire de la commune et co-auteur du livre cité dans les sources de cette notice. André Roou en co-signant un livre biographique d’Aimé Ramond, avait entrepris de "réhabiliter" un homme méconnu dans son village natal après y avoir été dénigré, alors que le chef-lieu de l’Aude avait d’emblée reconnu en lui une des figures de proue de la Résistance de la ville dont le prestige était encore grandi par les circonstances tragiques de sa mort.
SOURCES : Archives départementales de l’Aude, 107 W 33. — Arch. dép. Aude, 3 J 2881, dossier de documents photocopiés concernant, manuscrit d’André Biaud (s.d., peu après la fin de la guerre) : souvenirs de sa détention à Perpignan et à Carcassonne entre les 15 et 19 août 1944. — Archives communales de Montgeard, état civil, acte de naissance d’Aimé Ramond et mention marginale.— Lucien Maury, La Résistance audoise (1940-1944), Carcassonne, Comité d’Histoire de la Résistance du département de l’Aude, 1980, tome I, 450 p. [pp. 136, 322, 334-337] ; tome II, 441, p. [p. 344, p. 393, pp. 395-396]. — Julien Allaux, La seconde Guerre mondiale dans l’Aude, Épinal, Le sapin d’or, 1986, 254 p. — Roger Lair, Claude Rivals, André Roou, Aimé Ramond. De Montgeard àCarcassonne, itinéraire d’un policier résistant, préface de Julien Allaux, Montgeard, Amicale culturelle, cercle d’histoire Aimé Ramond, 1995, 137 p. — Yannis Bautrait, Jean Blanc, Sylvie Caucanas, Françoise Fassina, Geneviève Rauzy, Résistances et clandestinité dans l’Aude. Cataloguepar les Archives départementales de l’Aude, présentée à Carcassonne du 11 octobre 2010 au 7 janvier2011, Carcassonne, Archives départementales de l’Aude, 2010, 71 p. [pp. 64-65]. — Résistances etclandestinité dans l’Aude, catalogue de l’exposition réalisée aux Archives départementales de l’Aude(Carcassonne), édition PDF, Carcassonne, 2010, 22 p. — Memorial genweb (www.memorialgenweb.org/memor...), site consulté le 16 octobre 2015. — N.-G., "E.S.O.P : la"promo" du cinquantenaire", Nice-Matin, 29 juillet 1994. — « Baudrigues, vision d’horreur », 14 août 2013, Musique et patrimoine de Carcassonne, http://musiqueetpatrimoine.blogs.lindependant.com/archive/2013/08/14/20-aout-1944-baudriguesvision- d-horreur-176357.html, blog d’informations sur la culture, l’histoire et le patrimoine de Carcassonne, consulté le 6 mars 2014. — Philippe Marchal, discours d’hommage à Aimé Ramond, lu par un élève de la section professionnelle (1e année) du lycée Jules-Fil de Carcassonne, PDF non daté in www.aude.gouv.fr/IMG/pdf/RAMOND , site consulté le 19 octobre 2015. — Entretien téléphonique avec Mme la secrétaire de mairie de Mongeard, 26 octobre 2015. — Entretien téléphonique avec André Roou, ancien maire de Montgeard et co-auteur du livre cité ci-dessus, 26 octobre 2015. — Courriel d’André Roou, 27 octobre 2015.
André BALENT